Du puits lachaud

Du puits lachaud English Springer Spaniel

English Springer Spaniel

PARLONS UN PEU DE GRIVES

 


ARTICLE DE BENJAMIN BASSET EDITE DANS LA REVUE NOS CHASSES MIGRATEURS


grive musicienne, turdus philomelos PARLONS UN PEU DE GRIVES

 La grive musicienne


Ce serait une douce erreur que de penser que l’on s’institue chasseur de grives du jour au lendemain. N’est pas bon chasseur au poste qui veut. Cependant certains d’entre nous ne prennent le permis que pour cela. Ne leur parlez pas de lièvres ou de perdreaux, ou de tactiques savantes avec un chien d’arrêt, pour eux ce sont des légendes et des rêves…


 


Passage d’Octobre


 


Parce que dans notre midi il ne faut que quelques heures au petit gibier sédentaire pour devenir migrateur par nervosité, bien vite il ne reste à mettre au bout des canons que le sanglier et le gibier de passage. Ainsi confronté à un désert cynégétique homogène celui pour qui l’attrait de la bête noire reste limité et que les rassemblements bruyants n’intéressent pas davantage va donc partir chaque matin d’octobre à la passée aux grives. Peu importe que les oiseaux soient au rendez vous ou pas, il faut une patience à toute épreuve, ce qui est la première qualité requise pour attendre tout migrateur. Certaines années sont plus fastes que d’autres, nous l’avons tous compris à nos dépens. Notre homme lui s’en moque bien, tout comme des météorologues ou autres savants qui tracent les cartes migratoires de la sauvagine. Il ne rentre pas dans toutes ces considérations scientifiques, pour lui tous les jours peuvent être bons et il a bien raison. Il a choisi tel ou tel vallon dans la colline parce qu’il sait que les oiseaux passent là, à cause de la configuration du terrain ou le type de végétation. Et  chasserait-il cent ans, chaque grive le troublera autant que la première qu’il a tenu dans ses mains de gosse. Etant moi-même un enfant du Sud je crois pouvoir comprendre cette émotion… Pendant que les Basques et autres Landais désertent tous les lieux de travail pour se soigner d’un mal pourtant réputé incurable qu’ils nomment « fièvre bleue », ceux de Provence et du Languedoc rejoignent les hauteurs de la garrigue dans l’espoir de quelques palombes mais, avant tout, des grives… Dans le Var, les Bouches du Rhône ou le Vaucluse une chasse traditionnelle avec appelants  est pratiquée par des spécialistes de la question. Que ce soit avec la glu pour prendre les oiseaux  vivants qui serviront à leur tour d’appelant, ou les postes à feu appelé «agachons», les moyens mis en œuvre demandent une connaissance approfondie de ces modes de chasse. Plus à l’Est, dans le Gard, les appelants sont également autorisés mais pas les gluaux. On peut tirer soit posé soit au vol en fonction du règlement intérieur de chaque commune. Dans l’Hérault ou l’Aude on applique la législation habituelle en France. On peut donc se servir (d’empaillés ?) ou de formes en plastique et bien sur de tout un arsenal d’appeaux que chacun utilise avec plus ou moins de bonheur. Ce sont des dizaines de milliers d’oiseaux qui longent le littoral Méditerranéen à cette période de l’année. Le pic migratoire se situant  dans la semaine qui suit ou celle qui précède la Saint Luc. Le passage se fait de jour comme de nuit et par n’importe quel vent si ce n’est du Sud qui souffle fort. Une journée nuageuse ou un peu de pluie fine d’Est semble être le temps idéal. Les grives musiciennes et les merles constituent le gros de la troupe, les draines et quelques mauvis sont  aussi du cortège, tout comme les alouettes, les gros becs et autres petits oiseaux. Le sens général de cette migration est NO/SE mais au même moment, et pour des raisons qui m’échappent, certains vols remontent direction Nord ou NO, c'est-à-dire à contresens. Peut être par crainte de la mer et refusant de traverser là…Peut être aussi pour attraper certains courants d’air en altitude ? Quoi qu’il en soit certains jours tout cela donne lieu à une fusillade nourrie, et tout le monde s’en donne à cœur joie, si bien que l’on pourrait presque croire que c’est uniquement pour le plaisir de faire du bruit, ce qui n’est pas rigoureusement faux …C’est vrai qu’il y a obligatoirement dans le lot un certain pourcentage d’excités qui, avant de tirer  à cinquante mètres devraient  apprendre à le faire correctement à trente. Au chapitre des enquiquineurs la palme revient incontestablement à ces abonnés des appareils  en tous genres, électroniques, ultrasons, télécommandés…qui reproduisent le chant des oiseaux. Ces bons à rien jettent le discrédit sur une chasse qui n’a de plus vraiment pas besoin de cela. D’ailleurs ces gens n’ont recours à de telles combines  que pour s’être avoués à eux-mêmes leur incapacité à trouver du gibier en chassant loyalement…Pour ces individus on ne peut avoir que du mépris et c’est ce que je fais depuis longtemps.


 


Grive draine


La grive draine


Cabaniers de Provence


 


Mais revenons à des choses plus glorieuses et partons vers le haut Vaucluse, du coté de Vaison la Romaine, dans ces paysages de vignes et de pinèdes que domine au loin le Mont Ventoux. Ici quand on parle de chasse à la grive avec appelants le mot tradition prend tout son sens. Les chasseurs de ce joli coin de France répètent avec  simplicité les gestes des anciens et vouent à cet oiseau un véritable culte ; Ici tout le monde ou presque sait  «chiler » c'est-à-dire imiter le chant des oiseaux. On organise des championnats et le vainqueur passe presque à la postérité avec sa photo dans le journal. On parle de lui dans les bistrots et on n’est pas peu fier de le compter parmi ses camarades. Il y a aussi des écoles pour débuter ou perfectionner sa technique car ces trilles à la sonorité douce et veloutée sont difficiles à connaitre et surtout à reproduire fidèlement. Le «chilé » est  le nom donné à l’appeau spécifique avec lequel on reproduit le ramage, sorte de roulade imitant la mélodie du chant printanier des «Quines»(Mauvis) ou des «Kiakias»(Litorne) ou en encore les «Chiqueuses» (Musicienne)… Chaque espèce ayant elle-même une façon de chanter selon la saison, le temps qu’il fait et bien d’autres choses encore qu’on ne peut savoir qu’en écoutant ces gens si riches d’expérience. Ils vous expliqueront que dans tel type de territoire la cabane doit être orientée de telle façon à cause de ceci ou de cela. Ou que les bons appelants de merles doivent chanter de telle ou telle façon, que la femelle appelée « merlatte  ou merlasse» fait bien venir toutes les espèces de grives .On nomme «sambil» un appelant qui, lorsqu’on approche la main de sa cage, pousse des cris perçants de peur ou de colère, un peu  comme une grive blessée. Le cri du bon appelant doit être clair sans être aigu et seule une grande habitude  peut apprendre à  faire la distinction. Tout comme pour sélectionner un bon jeu de «siffleuses» et faire la différence entre celles qui chantent et celles qui appellent. Le bon Kiakia «miaule», la musicienne qui «chique» toujours deux coups est une perle rare. Des années de pratique ne sont pas nécessaire pour observer qu’il il est peu probable de bien réussir aux Draines  et aux litornes quand il n’y pas sur le secteur de grands arbres qui dominent franchement le reste du taillis ; Ou également que les oiseaux vont plus à l’eau quand il gèle fort. Il est par contre plus difficile de saisir pourquoi toutes les grives d’un ruisseau sont aux ronces un jour et aux lierres le lendemain ou pourquoi certaines années elles boudent  les champs d’oliviers pour les pommiers ou vice et versa. C’est toute cette somme de savoirs qui distingue le chasseur de grives du tireur occasionnel ou opportuniste. Mais tout cela n’est encore que l’enfance de l’art. Il y a tant de subtilités dans cette chasse qui n’a l’air de rien qu’il faudrait un livre entier pour en aborder tous les aspects …On tient de sa famille la passion et la connaissance, à charge pour chacun de perpétrer puis transmette cette culture comme on le ferait pour n’importe quel patrimoine.


 


AmbiancesGrive litorne


 La grive litorne


Déjà la Toussaint... Le passage commence à  «vieillir» mais tout n’est pas encore fini d’autant que la lune sera pleine en fin de semaine. J’aime ces nuits claires et j’ai ce sentiment  quelles sont favorables aux voyages des migrateurs. Cette année Octobre n’a pas valu grand-chose, mises à part trois belles matinées avant la Saint Luc et une petite resucée deux jours plus tard. Cependant j’y crois encore …Tout n’est sans doute pas passé, du moins c’est ce que j’espère et c’est pourquoi je suis là. Et aussi parce que j’aime être dans la colline et plus particulièrement à cet endroit précis ou, tout gamin, j’accompagnais mon père et que l’apparition d’un pinson me faisait tressaillir à chaque fois.  Hier, comme chaque soir à cette époque, je suis sorti écouter la nuit et entendu les « tsic » des musiciennes qui filaient dans l’obscurité en direction des Pyrénées. Elles voleront tout le temps nécessaire pour atteindre l’hiver de la douce Andalousie ou plus loin encore par delà la mer, les oliveraies du nord de l’Afrique. Elles nous reviendront au printemps la tête pleine de soleil et de souvenirs. Formidable cycle de la migration des oiseaux.


Depuis toujours j’ai pris l’habitude d’arriver au poste avant le jour. Cela permet d’arranger quelque peu ce qui ne va pas autour de l’endroit et aussi de profiter pleinement du réveil de la garrigue. D’abord tout est silencieux puis peu à peu le jour commence à poindre et dans une boule de chênes verts un merle chante timidement. Peu après une fusée noire passe en trombe au ras de l’affut sans pouvoir être tirée. C’est tous les jours comme ça, les premières grives volent trop bas ; Elles vont de broussaille en broussaille et se posent  parfois dans un cade ou un cyprès d’où elles repartent sans prévenir. C’est agaçant mais c’est le jeu. Peu après un premier coup de fusil résonne dans un vallon au loin, et comme en écho,  deux autres plus rapprochés  ébranlent  à leur tour le calme des collines. Je me tiens prêt, au cas où, et effectivement  voilà un oiseau qui arrive de la gauche…Je me presse trop et le «parfume» lamentablement ce qui me contrarie au plus au point. Plus le tir parait facile plus on devrait s’appliquer, mais on n’y pense pas tout le temps. Maintenant le soleil apparait au dessus des grands pins et commence à réchauffer les coteaux pourpres des vignes là bas autour du village. Mais rien ne vole, c’est à désespérer. Un rapace décrit dans le lointain d’interminables boucles, il est déjà neuf heures et ça sent la bredouille. Une de plus, une de moins, j’essaye de me convaincre que ce n’est pas bien grave. Une heure plus tard je suis à la maison…


 


 Le lendemain me voilà reparti pour la même place. En montant je ne m’étonne qu’à moitié de ne pas voir les véhicules des chasseurs habituellement postés le long du coupe feu. Plus personne ne semble y croire encore mais cela n’altère en rien mon bel optimisme. Et, comme pour me donner raison, aussitôt sorti de la voiture, j’entends « chiquer »des grives un peu partout dans les pinèdes.  Il y a eu du passage cette nuit et les oiseaux se sont arrêtés pour souffler avant de continuer leur route. Je me tiens prêt dans le petit jour et tire une dizaine de fois en à peine un quart d’heure. La chienne retrouve facilement chacune de mes victimes et je me régale de la voir faire. Tout va bien ! Puis plus rien sauf quelques grives qui passent en contrebas dans le vallon ce qui me donne l’idée de changer de poste. Aussitôt dit aussitôt fait. En hâte j’installe mon affut transportable et  reprend l’attente. Régulièrement il monte des oiseaux, seuls ou par petites volées. Maintenant le vent d’Est forcit un peu et oblige presque toutes les grives à passer là. J’ai bien fait de me déplacer. Le tir aussi en est facilité car les oiseaux peinent un peu et vers onze heures j’ai un tableau record pour cette année. Autour du poste je ramasse une bonne centaine de douilles vides. Je m’en vais déposer tout mon barda et mon gibier à la voiture puis repart essayer de récupérer trois mortes qui sont tombées dans des  buissons  épais et qui sont sans doute restées accrochées en hauteur. Tout à mon affaire j’entends la fourgonnette du garde communal qui s’arrête en haut sur le chemin et peu après  le représentant de l’ordre descend dans ma direction. La chienne grogne puis s’élance et je ne fais rien pour l’arrêter. Je sais bien qu’elle ne le mordra pas mais lui n’en est pas sur et cela m’amuse beaucoup. C’est que nous ne sommes pas bons amis depuis cette fois ou il aurait voulu verbaliser un de mes frères prétextant une infraction qu’il n’avait pas commise. Pas qu’il soit bien méchant mais le jour ou on lui a donné une assermentation et la casquette qui va avec, la tête  du pauvre homme s’est mise à enfler plus vite que prévu. Depuis il erre à la recherche d’un contrevenant qu’il n’a encore jamais découvert et s’en va noyer son dépit dans des boissons anisées qui elles mêmes n’améliorent en rien la clarté de son raisonnement. Le voilà à présent qui me questionne sur la matinée. Il repartira sans aucun renseignement ou du moins l’exact contraire de la vérité…Pour vivre heureux vivons cachés…Une fois rentré chez moi j’arrange tout ce gibier sur la table de la cuisine et ne me lasse pas de contempler cette belle réussite. C’est pour des journées comme celle là que les gens comme moi vivent et espèrent à longueur d’année. Alors il faut prendre le temps de s’imprégner du souvenir car les succès sont de plus en plus rares, ce qui sans doute en augmente la valeur. Dans une dizaine de jours la broche tournera devant la cheminée et on appréciera dans la bonne humeur ces moments  entre amis. Car la chasse est une courbe sensorielle qui prend naissance bien avant l’ouverture et se termine par le partage de son gibier avec les gens que l’on aime. Ainsi l’acte de chasse, celui de tuer, aura pris tout son sens.


 


 


Grive musicienne en volENCADRE : En corse 


 


Le touriste non prévenu, empruntant par une belle matinée de Février une route sinueuse de la montagne Corse, risque bien d’éprouver la sensation d’être tombé au beau milieu de grandes manœuvres militaires. Des dizaines de fusils crépitent dans le maquis et à certains moments on croirait que plusieurs mitrailleuses tirent ensemble. Qu’il se rassure ce sont les chasseurs de grives et ils sont nombreux. Car ici on a compris depuis longtemps que ce qui est bon à manger est bon à chasser. Et comme beaucoup d’ oiseaux migrateurs passent par là un jour ou l’autre,  ils y sont attendus de pied ferme. Pour nous, non insulaires, il est tout à fait possible d’aller chasser sur l’ile de beauté. A condition d’avoir un ami ou un parent qui connait le secteur et les gens qui y vivent, il est parfaitement exact que certaines années on peut réaliser des tableaux plus que convenables. Pour les cartes de chasse on profite d’une plus grande largesse d’esprit que sur le continent et personne ne vient vous enquiquiner. La seule nécessité est d’avoir un chien. La végétation est si dense qu’il est pratiquement impossible de retrouver sans l’aide des chiens les oiseaux qui tombent dans ce fouillis d’arbustes enlacés de ronces. Mais tous ceux qui ont eu la chance de se rendre en Corse et chasser dans cette ambiance de joyeux folklore, n’ont qu’une envie, celle d’y revenir. Une impression de liberté, des paysages de rêve et une chasse pas facile, faite pour de vrais chasseurs  contrairement à ce que certains peuvent penser. Malheureusement il en est ainsi de toutes les réputations, longues à s’établir et encore plus longues à se dissoudre.


 


ENCADRE  : Le chasseur Méridional


Si un de ces jours vous passez par un village de Provence et que vous n’êtes pas trop pressé, arrêtez-vous sur la place principale et repérez le plus grand des platanes. Sous l’arbre vous trouverez un banc et pas trop loin du banc un groupe de quelques anciens, certains soutenus par une cane et tous chaussés des mêmes espadrilles. Puisqu’ils ne jouent pas aux boules c’est qu’ils discutent de chasse.  Ne souriez pas en les écoutant, prêtez vous au jeu, vous n’allez pas le regretter et avec un tout petit peu de chance vous pourrez entendre des histoires étonnantes. Des anecdotes vraies ou qui pourraient l’être…D’ailleurs Alphonse Daudet a ainsi formulé la théorie psychologique du chasseur méridional…  « Le chasseur du midi ne ment pas, il se trompe. Il ne dit pas toujours la vérité mais il croit la dire et  finit par croire ce qu’il dit. Son mensonge à lui, ce n’est pas du mensonge, c’est une espèce de mirage ». Pour circonstances atténuantes l’homme du midi n’a que le soleil et sa passion pour la chasse. Alors on lui pardonnera de vibrer à l’évocation de passages gigantesques et de coups de fusil extraordinaires. Tout cela n’est pas bien grave car de cette faculté d’illusion nait l’allégresse des gens du Sud. Et puis tout chasseur et même celui des brumes du Nord ne subit il pas un peu le rayonnement du soleil Tarasconnais ?